Pourquoi le Noir et Blanc a souvent la préférence des photographes de rue ?

Published on 17 September 2024 at 10:37

Pourquoi le Noir et Blanc a souvent la préférence des photographes de rue ?

Ma réflexion du jour, perdu sur le caillou, à Nouméa, un soir d'hiver austral...

 

Bien que la photographie couleur soit apparue peu de temps après la naissance de la photographie, aux alentours de 1840, la photographie en noir et blanc, ou plutôt en nuances de gris, a souvent été préférée par les photographes humanistes, et les photographes de rue, et ce pour plusieurs raisons.

 

L'intemporalité

 

Le caractère intemporel de la photographie en noir et blanc est indéniable, et ce depuis le XIXè siècle. Les photographies des humanistes, de Doisneau à Depardon, de Cartier Bresson à Sabine Weiss, pour ne parler que des plus emblématiques, nous évoquent un temps nostalgique, une certaine idée du temps qui passe, et cette intemporalité est génératrice d'émotions.

 

Henri Cartier-Bresson Sabine Weiss

 

La photographie couleur est en revanche plus démonstrative, elle montre davantage le réel. Elliott Erwitt disait d'ailleurs : « La couleur est descriptive, le Noir et blanc est interprétatif ».

 

Et d'ailleurs, ce qui a permis à la photographie d'être rendue au niveau des arts visuels, c'est la possibilité de n'être pas qu'une science de la reproduction du réel, mais bien l'art d'une interprétation du réel.

 

Des controverses célèbres ont opposé les défenseurs de la peinture et les adeptes de la photographie, durant tout le XIXè siècle. L'ouvrage d'André Rouillé « La photographie en France. Textes et controverses : une anthologie, 1816-1871 montre bien au travers des discours et lettres enflammées de grandes plumes la crainte, le dédain, la curiosité, l'emballement au sujet de cette invention, à la fois technique, et artistique.

Que ce soient les peintres impressionnistes qui avaient peur pour leur art, ou des écrivains connus, nombreux sont ceux qui ont jeté l'anathème sur la photographie.

D'autres en revanche, comme Emile Zola, se sont approprié l'outil et sont « devenus » photographes !

 

Et c'est par le noir et blanc que la photographie s'est affranchie de la comparaison avec la peinture, et les autres arts picturaux.

 

Une vision simplifiée

 

En s'affranchissant de la couleur, la photographie change le regard. On ne raisonne plus en couleurs, mais en nuances. Les contrastes s'accentuent, le photographe doit simplifier la scène pour qu'elle soit plus visuelle, moins chargée.

Contrairement à la photographie en couleur, où l'on peut mettre de nombreux détails dans l'image, dès lors que l'accord entre les différentes zones est harmonieux, une photographie en noir et blanc devient vite illisible lorsque les détails se multiplient, surtout si leur contraste est faible.

 

La mode actuelle est de faire des images très graphiques, en jouant sur les contrastes élevés, à l'instar de ce que pouvaient présenter les photographes japonais du début du XXè siècle.

 

Le poids de la tradition

 

L'essence de la photographie de rue « à la française » est plutôt une photographie en noir et blanc, inspirée par les photographes humanistes du XXè siècle, et plus particulièrement de l'agence Magnum.

Mais il y a aussi de la part des photographes une certaine facilité à développer les photos en noir et blanc, le procédé étant plus accessible, et nécessitant moins de contraintes que le développement couleur.

 

Si ce propos concerne plutôt la photographie argentique (qui revient à la mode depuis une dizaine d'années), il est vrai que les photographes de rue ont plutôt souhaité garder cette pratique, même en numérique. Le développement de logiciels spécifiques a d'ailleurs accompagné leur choix.

 

N'est ce pas Karl Lagerferd qui disait : « Le Noir et Blanc a toujours l'air moderne, quelle que soit la signification de ce mot » ?

Chaque époque a ses effets de mode, et cherche à montrer sa réalité en fonction des goûts du moment. Et pourtant, malgré les couleurs acidulées des années 60, le flower power des années 70, les néons et boules-facettes des années 80, la photographie humaniste est restée assez fidèle au Noir et Blanc.

 

Martin Parr lui-même déclarait :« Dans les années 70, en Grande-Bretagne, si vous vouliez faire de la photographie sérieuse, vous étiez obligé de travailler en noir et blanc. La couleur était la palette de la photographie commerciale et de la photographie instantanée. »/citations-sur-la-photographie-noir-et-blanc/

 

En dépit de toutes ces explications, il est quand même surprenant que la photographie en Noir et Blanc garde sa noblesse.

Alors l'explication est peut être aussi la mise en œuvre d'artifices techniques au profit d'un résultat artistique.

 

Tout d'abord, il faut penser en Noir et blanc.

 

Même si vous voyez la scène avec toutes ses couleurs, vous devez vous habituer à discriminer les différentes teintes et imaginer quel résultat sera obtenu en monochrome.

Par exemple, une personne vêtue de rouge devant un mur orange donnera sans doute en noir et blanc une image un peu plate. Si en revanche le mur est bleu royal, alors vous aurez une palette de teintes que vous pourrez moduler à l'envie avec votre logiciel de traitement.

 

Une scène urbaine avec beaucoup de végétation sera assez fouillie, et vous aurez sans doute besoin de jouer sur les courbes verte et jaune pour foncer ou éclaircir le feuillage et donner de la matière votre cliché.

 

C'est souvent à la prise de vue que vous aurez à faire le choix de la scène, en imaginant le résultat final.

Vous pouvez néanmoins vous aider des possibilités créatives de votre appareil, qui vous permettra de mettre votre écran en noir et blanc. Je vous conseille tout de même de photographier en format RAW, ce qui vous permettra de reproduire le résultat qui vous conviendra.

Mais ne pensez pas qu'une image faible en couleur pourra donner un bonne image monochrome. Comme je l'ai exprimé plus avant les ressorts d'une image couleur et d'une image monochrome sont différents. Et bien souvent opposés.

 

Vous devrez également jouer avec les différents éléments du décor : texture des murs, contrastes liés à la lumière, moment de la journée... sont autant de palettes dont vous devrez vous accommoder pour une photo monochrome.

Si le ciel est chargé, vous jouerez sur les contrastes ; par ciel clair, vous pourrez travailler les ombres, en fonction de l'heure de la journée. Un ciel gris vous obligera à trouver dans votre scène un élément d'accroche.

 

L'utilisation du zone system cher à Ansel Adams vous permettra de mieux appréhender la scène que vous allez photographier : profiter de la richesse des différentes nuances de gris, équilibrer votre image, gérer les zones extrêmes de l'image. Le logiciel Silver Efex de la suite Nik Collection vous aidera à gérer ces paramètres avec beaucoup de facilité.

 

Enfin, l'intérêt de la scène devra être plus percutant en monochrome qu'en couleur ; Il vous faudra guider le regard vers les éléments intéressants de l'image, et construire celle-ci avec beaucoup de minutie.

Trop de photographes montrent des photos de rue en noir et blanc qui représentent des scènes sur lesquelles le regard n'accroche pas. Ce n'est pas que les photos soient mal faites, c'est souvent parce que l'auteur n'a pas su discriminer son sujet. Travailler en focale fixe, cadrer avec ses pieds, permet souvent de « réfléchir » à l'accroche de son image.

Comme disait Rob Shepard, « le noir et blanc peut transformer une image en quelque chose de magique ». Dès lors qu'on en comprend les ressorts, et que l'on y mette beaucoup de cœur.





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