Vous faites de la photographie de rue. Vous êtes donc photographe.
Mais être photographe peut revêtir de nombreuses pratiques, selon le sujet auquel nous portons de l'intérêt.
Ainsi, un photographe de studio choisira son décor, dirigera son modèle, construira sa lumière, pour obtenir une photographie qui sera réfléchie du début à la fin du processus ; un photographe de paysages aura la même démarche, sauf pour la lumière qu'il devra chercher dans un rapport au temps beaucoup plus aléatoire ; un photographe animalier devra en revanche choisir un environnement, et savoir se montrer patient pour trouver l'animal qu'il voudra photographier...
Pour le photographe de rue, le décor, la lumière, les sujets sont autant d'éléments qui changent en permanence, et avec lesquels il va falloir composer à tout moment.
Je vais tenter de réfléchir à la construction d'une photographie de rue. Quelles questions se poser avant de partir, comment composer son image, et en quoi la photographie de rue est une pratique autant vénérée, tant par ses auteurs que par le public.
La photographie de rue est d'abord une affaire de choix.
Et choisir, c'est d'abord éliminer !
Contrairement à d'autres activité photographiques, le photographe de rue va marcher, beaucoup. Il faut donc voyager léger.
Votre premier choix sera celui d'un boîtier, quelle que soit la marque que vous choisissez, qui soit léger et maniable. Un reflex plein format avec une optique 70 – 200 va sans doute vous freiner dans votre pratique, à cause de son poids, de son volume, de son absence de discrétion.
Ensuite le choix de la focale : c'est votre œil qui va diriger ce choix. Votre construction cérébrale vous amènera à plutôt choisir un grand angle, en deçà de 35mm, ou un objectif avec une plus longue focale (50mm et au delà).
En général, vos premières sorties vous permettront de déterminer la focale qui vous convient le mieux.
Personnellement, je me sens à l'aise avec le Sigma 30mm f/2,8 avec un boîtier micro 4/3. C'est un peu plus serré que le 50mm, mais ma pratique du portrait de rue me permet avec cet objectif de ne pas être trop intrusif avec les sujets que je photographie.
Une fois le boîtier et l'objectif choisi, vous devrez composer votre sac photo. Nul besoin de s'encombrer de matériel inutile, c'est pourquoi dès le départ vous devrez choisir le style de photo que vous voudrez faire. Par exemple, si vous êtes équipé d'un 85mm, vous ne pourrez pas photographier la cathédrale qui se dresse fièrement devant vous !
Choisir c'est éliminer : un boîtier, deux objectifs fixes, ou un téléobjectif, une ou deux batteries supplémentaires, et c'est tout ! un filtre ND, un petit trépied peuvent compléter votre sac si vous êtes adeptes des poses longues. Personnellement, j'ai souvent un filtre infrarouge lorsque la lumière est idéale.
Laissez de côté le chargeur, l'autre focale que vous pourriez éventuellement n'utiliser qu'une fois, et tout autre accessoire inutile.
Maintenant, vous êtes prêts à partir, vous avez une bonne paire de chaussures, une bouteille d'eau, voyons donc comment vont se construire les images que vous rapporterez de votre sortie photo.
Comment composer votre image ?
Je ne reviendrai pas ici sur les règles de compositions académiques que chacun connait, ou peut trouver facilement sur internet ou dans les nombreux ouvrages sur le sujet.
Je suis plus intéressé ici à vous parler de ce qui entre dans le cadre, et éventuellement ce qui n'y entre pas, en clair ce que vous choisissez de mettre dans votre image.
A ce sujet, je retiens plusieurs notions qui vont vous permettre de composer votre image :
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L'équilibre : une bonne photographie doit avoir un équilibre visuel. L'avant plan, l'arrière plan, le sujet principal de l'image doivent être mélodieusement répartis pour que l'image soit esthétique.
Les lignes de force doivent être judicieusement placées pour ajouter de la profondeur à l'image, ou pour garder l'oeil dans l'image.
L'équilibre se joue aussi beaucoup dans la manière selon laquelle on remplit le cadre : un portrait en gros plan, ou en plan américain, aura un message différent. Dans le second cas l'arrière plan aura une influence sur l'équilibre de l'image ;
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Le format de l'image : 4:3, 3:2, 1:1, 16:9... Chaque format est propre au capteur du boîtier que l'on utilise, mais il est toujours possible de choisir son format à la prise de vue (en réglant son appareil) ou en post-traitement. Le sens de lecture occidental (de la gauche vers la droite), la nature du sujet, vont conditionner aussi le choix d'un format.
Ainsi, un format 16:9 sera judicieux dans un espace urbain dégagé (place, point haut) ou pour obtenir un rendu cinéma. Le format 1:1 sera préféré pour le portrait de rue. Le choix de la diagonale 3:2 ou 4:3 dépendra plus de votre capteur, toutefois le format conventionnel (format d'un appareil 24x36) est 3:2.
Le 4:3 sera préféré pour une photo en mode portrait, pour donner plus d'air au sujet.
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La profondeur de champ : la gestion de la profondeur de champs est un choix cornélien pour les photographes de rue. On peut isoler un sujet avec une très faible profondeur de champ, ou au contraire intégrer le contexte, l'espace, avec une grande profondeur. Les utilisateurs de l'hyperfocale savent que leurs réglages permettent d'intégrer les différents plans nets dans l'image, tandis qu'un portraitiste préférera une grande ouverture pour valoriser son sujet. Il est possible aussi d'intégrer de la profondeur de champ dans son image en utilisant une longue focale.
Ainsi, il m'arrive d'utiliser un objectif 100mm f/2,8 qui me permet de faire un portrait en gros plan, avec un bokeh très agréable, et à une distance respectable du sujet.
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L'utilisation de la lumière : en photographie de rue, la lumière est une composante essentielle puisque contrairement au photographe de studio, le photographe de rue n'a aucune influence directe sur la lumière du soleil. Il doit donc composer avec.
On a coutume de dire que la lumière de début de journée et de fin de journée est douce tandis que la lumière de milieu de journée est dure. Gérer le moment de votre sortie va donc avoir une influence sur votre travail : la recherche d'ombres marquées, de clair-obscure, de forts contrastes se pratiquera plutôt en fin de matinée ou en début d'après-midi. La recherche de lumières plus douces sera plutôt matinale.
De même, un ciel couvert permettra de faire des portraits dans ombres disgracieuses sur les visages.
La lumière va également vous aider à mettre de l'intensité dramatique à vos images : un ciel chargé, ou au contraire une brume d'automne vont donner à votre photo un caractère particulier.
En quoi la photographie de rue est aussi vénérée :
La photographie de rue a un fort caractère émotionnel, qui est dû autant aux éléments décris ci-avant, qu'à l'imaginaire qui l'entoure par la grâce de nos illustres devanciers.
Difficile à pratiquer parce qu'elle oblige le photographe à entrer dans la bulle d'intimité du sujet photographié, elle est aussi le miroir de l'époque à laquelle elle est pratiquée.
Nous retiendrons par exemple des années 2020 la nomophobie de nos contemporains, puisque le téléphone portable est un élément permanent de nos photographies.
Un certain nombre de concepts touchant à la philosophie et à la sociologie peuvent être consacrés dans ce paragraphe :
On a l'habitude de définir un photographe de rue comme un chasseur, ou un pêcheur.
Dans le premier cas, la pratique consiste plutôt à déambuler dans l'espace public pour chercher ses sujets, et déclencher de manière réflexe lorsqu'une scène mérite d'être figée.
Dans le second cas, le photographe va trouver un cadre, un champs, dans lequel il va attendre qu'il se passe quelque chose.
Il n'y a bien sûr aucune posture figée, et chacun pratiquera une ou l'autre technique au cours d'une même sortie. Toutefois, chaque photographe a une pratique préférée, qui correspond à son caractère et ses attentes.
Mais chacune de ces deux pratiques repose sur le concept de l'instant décisif cher à Henri Cartier-Bresson. Ce concept repose sur l'idée de figer un moment unique et fugace, l'image d'un instant dans lequel tous les éléments contribuent à créer une image qui fait sens. Combien d'images, parmi les milliers que vous avez réalisées, vous touchent, ou touchent votre auditoire ? La recherche de cet instant de grâce est longue et semée d'embûches !
C'est aussi une des raisons qui rend la photographie de rue difficile et souvent peu gratifiante : combien de kilomètres parcourus pour obtenir une image qui sort de l'ordinaire, qui nous démarque, qui mérite d'être imprimée sur le papier ?
D'ailleurs, essayez mentalement de compter combien de photographies de Cartier-Bresson, de Doisneau, de Depardon, de Weiss vous connaissez ? Alors qu'ils ont des décennies d'histoire photographique et des milliers de clichés réalisés !
Ce qui détermine leur célébrité, d'ailleurs, plus que leurs clichés, c'est leur style, leur capacité à maîtriser et à utiliser à leur profit toutes ces contraintes. Ce qui me fais aborder le sujet de la sérendipité. C'est à dire de la capacité à se jouer du hasard pour en saisir une capture clinique, presque scientifique.
La capture de l'inattendu, la mise en scène hasardeuse d'éléments contraires (cf René Maltête) la capacité, en une image, de raconter une histoire, un événement, une tendance, est une compétence qui se travaille dans le temps long, qui nécessite une pratique régulière, mécanique, tel un écrivain réécrivant plusieurs fois la même page, ou un peintre réalisant plusieurs fois le même tableau, jusqu'à obtenir une œuvre incontestable. Sauf que le photographe de rue ne refera jamais la même photo ! Les conditions de temps, de lieu, de cadrage, de sujet... Ne se reproduit jamais à l'identique.
En conclusion, chaque photographe de rue a de multiples palettes pour exercer son art : il doit choisir son matériel, le style qu'il souhaite mettre en exergue, son espace urbain, et composer avec les éléments.
La construction de l'image dépendant d'un ensemble de paramètres qu'il maîtrise, et de nombreux avec lesquels il doit composer, ce qui rend cette pratique si variée, si passionnante à étudier.
J'écris cette chronique le jour du bicentenaire de l'invention de la photographie : en effet le 16 septembre 1824, Nicéphore Niepce écrivait à son frère Claude qu'il était parvenu à fixer une image prise de la fenêtre de sa chambre, à Saint Loup de Varennes, près de Chalon sur Saône.
Que de chemin parcouru en 200 ans, grâce à cette invention que la France a offerte au monde en 1839.
Et pour revenir à notre sujet, l'intérêt de la photographie de rue réside dans le souvenir qu'elle laisse pour la mémoire : une empreinte de chaque époque, une histoire de notre monde, une trace de notre histoire commune.
Notre contribution à la narration de notre temps.
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