La Photographie de rue est morte, vive la Street Photography !
Cet article, au titre volontairement provocateur, est le fruit d'une réflexion que j'ai depuis plusieurs années, et qui s'est affinée depuis que j'ai adhéré au collectif « Street photography France » il y a dix huit mois maintenant.
1/ Une photographie has been :
Longtemps considérée comme has been, en réalité depuis que la photographie numérique s'est imposée dans le marché des appareils photos, la photographie de rue était peu représentée dans le milieu, faisant figure de photo du siècle passé. Ainsi, si l'on se réfère aux magazines photo, à la représentation de la photographie dans les clubs photos, mais également sur les réseaux sociaux, la photographie humaniste était peu représentée, hormis par des photographes grands reporters qui exposaient leur travail dans les zones de guerre, ou les plus pauvres de la planète.
Photographie de l'instant, mais aussi photographie de l'instinct, elle se prêtait mal à l'évolution technique du matériel, en recherche de pixels, de netteté artificiellement contrastée par des capteurs vitaminés et des logiciels performants.
La photographie de rue se déclinait alors en cartes postales vendues devant les librairies, ou en poster dans des boutiques de souvenirs à Paris.
« Les merveilles de la vie quotidienne sont passionnantes ; aucun cinéaste ne peut arranger l'inattendu que l'on trouve dans la rue. » - Robert Doisneau
C'est sans doute cette citation qui reflète le plus mon propos dans paragraphe : par antonymie, arranger l'inattendu en photographie n'était plus de mode dans les années 2000. Au contraire, les photographes cherchaient à composer leur image, leurs lumières, leurs couleurs.
La photographie humaniste, telle que l'avait conceptualisée nos maîtres français, américains, japonais... semblait vouée à une inéluctable disparition.
2/ Un renouveau par la grâce des réseaux sociaux :
Quand j'ai repris la photographie de rue (OK Boomer!), c'est par le biais de quelques mentors tous plus âgés, et qui avaient débuté comme moi par l'argentique et la chambre noire. Il m'était donc facile de m'inspirer de leur expérience pour poursuivre une œuvre que j'avais débutée dans les années 80, mais dont je n'ai gardé quasiment aucune trace ! Leur travail, comme le mien, restait très inspiré des photographes humanistes qui avaient imprimés nos rétines durant notre enfance.
A cette époque pas si lointaine, Youtube et Dailymotion étaient ambryonnaires, Instagram n'existait pas, Facebook était un site pour les adolescents et nous n'avions rien pour partager nos photos.
Ce sont ces réseaux sociaux qui ont créé le partage, et suscité le renouveau de la photo urbaine. Je me rappelle de ma découverte, en 2012, d'un photographe suisse, Thomas Leuthard, qui animait une page sur Youtube au sujet de la photographie de rue. (Mon premier contact avec une animation sur le sujet sur Internet). Je le trouvais la fois inspirant, par la qualité et la propreté de son travail de noir et blanc, mais aussi inquiétant pour la dépersonnalisation des personnages d'une partie de ses clichés. C'est ce genre de photographie de rue qui m'a fait réfléchir à cet article, que je mûris depuis !
https://www.flickr.com/photos/thomasleuthard/
(Je vous invite à vous plonger dans son travail, qui est vraiment exceptionnel.)
C'est pour moi, dans ces années 2015, qu'une bascule s'est faite dans ce que les photographes urbains avaient envie de partager.
Et c'est là que je situe la mort de la photographie de rue, et la naissance de la Street Photography.
Je m'explique : la société ayant évolué, les photographes aussi, mais également les sujets, montrer une personne en photographie devenait plus difficile, plus engageant, à mesure que les réseaux sociaux se développaient.
Montrer quelques photographies de personnes prises sur le vif, dans des postures parfois humoristiques, ou balourdes, pouvait heurter la sensibilité d'un public moins initié à la photographie de rue, mais plus soucieux de sa propre image, et donc de celle des autres.
C'est sur ce thème que l'arrêt dit Banier (en réalité Arrêt de la cour d'appel de Paris 06/03296 du 05 novembre 2008, Isabelle de Chastenet de Puységur/Gallimard) a été rendu, après qu'une Femme se soit pourvue en justice contre Jean Marie Banier qui avait publié un portrait d'elle dans son livre « Perdre la Tête ».
Malgré cette décision plutôt favorable aux photographes, les photographes de rue sont devenus plus méfiants, à l'égard de personnes à la réaction imprévisible. Ces mêmes personnes se méfient des photographes, veulent maîtriser leur image, au risque de faire disparaître une discipline d'utilité publique !
Deux autres phénomènes tendent à parler dorénavant de Street Photography, plutôt que de photographie de rue.
3/ De plus en plus de praticiens :
Nous ne nous plaindrons pas de ce chat pitre, qui est l'essence même de notre collectif : le développement des réseaux sociaux, basés sur l'image, et l'accès démocratisé au matériel toujours plus performant et discret, a rendu la discipline plus abordable.
Instagram, Tik Tok, Youtube, Thread, X, Facebook.... sont autant de vecteurs de diffusion qui sont noyés de photographies en tout genre. La Street Photography, œuvre de jeunes urbains de la classe moyenne vivant en ville, se développe à une vitesse astronomique.
En 2020, 347 200 stories sont échangées chaque minute sur Instagram, et 147 000 photos sont partagées sur Facebook. L’application TikTok est quant à elle installée 2 704 fois toutes les 60 secondes, malgré les difficultés qu’elle rencontre aux États-Unis et en France (source : article de « les numériques » du 17/08/2020 par Antoine Faure). J'ai choisi cette date sans hasard, c'est juste après la pandémie de COVID 19, et c'est pour moi un point de passage qui explique le nombre toujours croissant de praticiens de la photographie de rue : de jeunes urbains, de la classe moyenne, vivant en ville, et qui ont souffert du confinement. La photographie de rue a alors été une échappatoire, une respiration, une évasion, et tout un tas de substantifs en -tion qui ont poussé ces personnes à figer dans une mémoire informatique une mémoire visuelle dont ils avaient été privé.
Ce développement de la pratique de la Street Photography n'est pas sans conséquence. Les réseaux sociaux regorgent à la nausée des photographies identiques, multipliées, des mêmes lieux, mêmes styles, mêmes traitements proposés par des logiciels identiques...
Il y a même des pages Instagram qui moquent cette pratique en regroupant des photos identiques !
Il est inévitable que le nombre de praticien augmentant, la photographie urbaine s'uniformise, d'autant qu'un paramètre s'ajoute à l'équation, c'est le développement du Vlogue ! Ses conséquences sont étudiées dans la 4ème partie...
4/ Un apprentissage autodidacte par des autodidactes :
Le corollaire du paragraphe précédent, est le suivant : pour l'apprentissage de la Street Photography, de quels moyens je dispose ?
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Le clubs photos : souvent animés par des « papys bokeh », vous y apprendrez la règle des tiers, la netteté sur l’œil et quelques principes nécessaires à l'utilisation d'un appareil photo, mais le décalage entre ce que vous attendez et ce qu'on vous offrira est tellement éloigné que ce ne sera pas pour vous ;
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Des formations dans des écoles de photographies : peu s'intéressent à la street photography, beaucoup à la photographie contemporaine, et elles sont de toute façon souvent très chères ;
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Il vous reste donc.... YOUTUBE !
Et c'est là que le sujet dérape.
Tous les photographes autodidactes, qui ont débuté après 2020 (rappelez-vous, le confinement, enfermé chez soi, toussa toussa...) ont débuté par les vidéos de Laurent Breillat, Thomas Hammoudi, Génaro Bardy et conssorts.
Loin de moi l'idée de critiquer leur excellent travail de vulgarisation de la photographie, d'une part je les regarde tous, d'autre part certaines de leurs vidéos m'ont beaucoup aidées dans ma pratique (S'ils me lisent je leur fait d'ailleurs un clin d’œil amical et confraternel).
Le problème de cette auto formation, c'est qu'elle nous incite à tous faire la même chose.
Et comme la mode est actuellement une silhouette en contre jour dans un rai de lumière dans une rue de Paris (de Bordeaux, de Lyon, de Strasbourg, de Marseille, de Nice...), toutes les photos se ressemblent.
Comme je l'ai déjà écrit, « l'humilité en photographie est de se dire que la photographie géniale que je viens de réaliser a déjà été faite au moins une fois avant moi ».
C'est pourquoi j'insiste sur un point : formez-vous, expérimentez, allez à des expositions, lisez des livres, shootez, interpellez les gens, demandez-leur de les photographier, expliquez votre démarche.... Soyez l'acteur de votre art !
Sébastien PELLETIER-PACHOLSKI
06 septembre 2024
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